Le constat : les trois versants de la Fonction publique expérimentent
2024 marque « l’explosion du nombre de projets d’usage de l’intelligence artificielle au sein des collectivités françaises », peut-on lire dans le Baromètre de l’Observatoire Datapublica paru en novembre 2024. Consacré à la Fonction publique territoriale, il dénombrait en effet « une cinquantaine » de projets en 2023, contre « plusieurs centaines » aujourd’hui… Et 51 % des collectivités disent avoir mis en place un système d’intelligence artificielle ou souhaiter le faire. Ces projets portent surtout sur la gestion administrative (RH, juridique…), mais aussi sur la transition écologique : gestion de l’énergie, mobilité, gestion des déchets, etc.
Côté État, l’IA est surtout vue comme un vecteur de modernisation de l’administration, ainsi que l’a réaffirmé en novembre 2024 le ministre démissionnaire de la Fonction publique, Guillaume Kasbarian. En octobre 2023, l’expérimentation d’une IA générative pour assister les agents dans leurs réponses aux usagers avait déjà été testée, avec succès : « 1 réponse sur 2 est facilitée par l’IA ; le temps de réponse moyen est passé de 7 jours à 3 jours », révélait un premier bilan. Albert, l’IA générative de l’État, a aussi été testée en 2024 par des agents France service, et pourrait être bientôt ouverte aux collectivités locales.
Côté Fonction publique hospitalière, Matthieu Guyot, directeur d’hôpital détaché et expert RH au sein de l’Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale (Anap), observait, en mars 2024, dans une interview à Profil Public que si l’IA est utilisée depuis plusieurs années dans certains domaines médicaux, son développement pour les RH – et la gestion des plannings par exemple – est plus récent. La plateforme IA de l’Anap répertorie toutes les IA déployées au sein d’établissements publics de santé.
Des études et rapports pour mieux encadrer
Ces expérimentations ont été accompagnées par de nombreux rapports visant à proposer un cadre d’utilisation de l’IA dans les services publics.
- La Cour des comptes a par exemple étudié L‘IA dans les politiques publiques : l’exemple du ministère de l”économie et des finances
- Côté RH, des élèves de l’INET ont cherché à anticiper l’impact sur les métiers de la territoriale, avec la production d’une cartographie des métiers concernés par les évolutions induites par l’IA. Ils estiment ainsi que 45 % des métiers sont concernés. A l’Etat, la DGAFP a publié une Stratégie d’usage de l’intelligence artificielle en matière de gestion des ressources humaines dans la Fonction publique de l’État.
- Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche s’est aussi saisi du sujet avec le lancement, en décembre 2024, d’une mission sur l’IA au sein des établissements publics d’enseignement supérieur.
- Au sein de la territoriale, les associations France urbaine et les Interconnectés ont lancé en 2023 un observatoire de l’IA, puis en 2024 des concertations territoriales de l’IA, invitant les collectivités à partager leurs expériences. Certaines collectivités, comme Nantes ville et métropole avec sa « boussole de l’IA », se lancent aussi dans la création de leurs propres cadres.
Soulignons aussi qu’au niveau juridique, un cadre européen a été posé avec l’adoption de l’AI Act – publié au Journal Officiel le 12 juillet 2024.
Inquiétudes : RH, éthique, environnement, finances, formation…
Ce développement n’empêche pas des inquiétudes. Dans son rapport sur l’utilisation de l’IA à Bercy, la Cour des comptes déplore notamment des avantages financiers pas toujours avérés, et note que « les enjeux concernant l’éthique, les RH ou l’environnement sont encore peu abordés ». Côté éthique et démocratique notamment, la Défenseure des droits « a jugé nécessaire […] d’investir ce sujet », peut-on lire dans un rapport publié le 13 novembre 2024. Si elle reconnaît les bénéfices de l’IA, elle soulève néanmoins les « risques majeurs sur les droits et libertés » que les algorithmes font peser sur les usagers et leur égalité, et émet des recommandations.
Ainsi, si on observe une profusion d’expérimentations et de prises de positions sur la manière dont l’IA doit arriver dans la Fonction publique – certaines plus favorables que d’autres – tous les acteurs semblent s’accorder sur une chose : la nécessité de réfléchir, discuter, considérer ensemble les enjeux pour définir un cadre qui protège les agents, les citoyens et l’environnement. Tout un programme pour 2025 !
Julie Desbiolles (Réseau Service Public)
Pour aller plus loin :
- Sur le site Café IA – une démarche nationale portée par le Conseil national du numérique, visant à partager les connaissances et savoir-faire autour du sujet – une page est consacrée aux ressources pour se former à l’IA.
- Le libre blanc « Service public : L’intelligence humaine aux commandes de l’IA » du Cercle des acteurs territoriaux offre une vision assez large des enjeux de l’IA dans la fonction publique territoriale
- Les concertations territoriales de l’IA s’adressent à toutes les collectivités : elles peuvent participer jusqu’au printemps 2025.